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Financement et fiscalité : les nouveaux atouts des établissements de santé

Article paru dans DH Magazine n°153

En 2016, les finances et la fiscalité sont toujours des sujets sensibles au sein des établissements de santé. Les contraintes réglementaires et les obligations fiscales s’unissent aux difficultés budgétaires auxquelles ils font face et ce, malgré l’indispensable nécessité de maintenir un budget à l’équilibre tout en acquérant des équipements médicaux performants. De nouveaux modes d’achat et de financement ont fait leur apparition. Crédit-bail, location avec ou sans option d’achat, nouvelles formes de financement proposées par les industriels en partenariat avec les banques, les établissements de santé peuvent diversifier leurs modalités de financement et choisir la solution la plus avantageuse. Exemples et analyses.

 

DH MAGAZINE – Avez-vous détecté des modifications de pratique d’achats et de financement au sein des établissements de santé ? Et pour quelles raisons ?

PHILIPPE JOUGLARD − Quand on parle d’actifs technologiques au sens large dans les établissements de santé, par exemple les systèmes d’information et les équipements médicaux, ils sont de plus en plus pilotés par de l’informatique. On constate plusieurs changements fondamentaux depuis les années 2010. Les contraintes réglementaires liées aux autorités de tutelle ne cessent de bouger, de se durcir, et cela entraîne des changements de pratiques très forts dans le milieu hospitalier. D’un schéma où chaque service dans l’hôpital fonctionnait de façon autonome, avec ses outils, son SI, nous sommes passés à un système où aujourd’hui, les tutelles challengent les hôpitaux sur le nombre d’actes, sur leur politique ou leurs coûts d’exploitation. L’environnement évolue donc très vite. Quand on regarde l’environnement technologique, nous sommes dans un écosystème très complexe, car l’établissement de santé, caractérisé jusqu’ici par un fonctionnement natif autonome et isolé, est en train d’être totalement intégré au sein du parcours du patient (médecine de ville et réseaux de soins en sont 2 exemples). On voit apparaître une bascule progressive : la technologie se déconcentre, devient collaborative et le travail se fait en réseau. L’objectif de connaître les coûts et de les maîtriser, celui de libérer de la ressource humaine sur les tâches à valeur ajoutée et in fine, de favoriser les bons actes au bon moment en évitant leur redondance pour améliorer la prise en charge du patient, avec en toile de fond, le vieillissement de la population et la baisse des fonds alloués, sont des priorités clairement identifiées.

Ce contexte a des impacts sur les modèles financiers utilisés par les établissements de santé ?
Clairement ! Pendant des années, le chef d’un service pilotait son activité en toute autonomie : il construisait son SI, achetait ses technologies médicales avec souvent des incompatibilités de technologies entre les services, voire une concurrence où chacun avait sa propre vision. Aujourd’hui, les établissements cherchent à rationaliser. Il y a donc une nécessité de connaître ses coûts et de mieux gérer le cycle de vie des actifs technologiques déployés dans l’établissement. Ainsi, on voit apparaître la raréfaction de l’utilisation des fonds propres pour investir dans de la technologie au sens large et l’émergence de deux produits : le crédit-bail, autrement dénommée location avec option d’achat, et la location ou leasing.

Qu’est-ce qui les différencie ?
Trois points les différencient : la flexibilité, les impacts au niveau du bilan et le pilotage des coûts. En crédit- bail, la flexibilité est faible, à savoir : j’ai pris un actif, je paie un loyer pendant X mois, à la fin, je lève l’option d’achat et je garde l’actif. Il est difficile en cas de rupture technologique, d’apparition d’une nouvelle technologie ou de réorganisation d’un service de pouvoir changer l’équipement qui est en cours de financement. A contrario, la location aligne la durée d’usage avec le paiement des loyers. En cours de contrat, l’établissement qui souhaite renouveler de façon anticipée un équipement (agrandissement, augmentation ou diminution des actes) peut le faire. Il y a plus de souplesse. En termes d’impacts financiers, ils ne se traitent pas de la même façon. Un crédit-bail, c’est de l’endettement au sens propre alors qu’une location impacte le compte de résultat. C’est une charge d’exploitation et cette charge est plus facile à affecter à un compte d’exploitation. Pour les actifs à cycle de rotation court de 2 à 5 ans, la location est adaptée. Il y a des paramètres d’innovation forts et basculer sur un modèle locatif est plus intéressant et permet de mieux affecter ses coûts par service, par acte, dans le cadre d’une démarche analytique. Pour des actifs lourds, comme une pharmacie centrale automatisée, par exemple, dont la durée de vie est longue, ce sont les crédits-bails qui seront privilégiés.

Quelle serait votre recommandation ?
On voit sur le marché un mix de ces deux stratégies qui émerge. Notre recommandation est que l’établissement utilise les 2 produits en regardant la nature de l’actif. L’analyse doit se faire sur la durée de l’actif, sur son poids financier et sur son usage.

Ces solutions sont nées suite à la demande des établissements de santé ou ce sont les établissements financiers qui les ont anticipées ?
C’est le résultat de la convergence des deux. Les établissements financiers ont mis en place des équipes spécialisées qui ont compris l’évolution de la technologie au sein de l’hôpital. Parallèlement, le monde de la santé fait appel de plus en plus souvent à des managers provenant de l’entreprise qui ont cette culture de la location ou du crédit-bail.

L’intérêt est-il purement financier ?
Il y a surtout un intérêt de bonne gestion, de pilotage des actifs, de maîtrise de leur cycle de vie pour ne plus se retrouver avec de vieux actifs obsolètes. On entre dans des cycles maîtrisés d’amélioration continue des outils permettant à l’hôpital de fonctionner. Attention, il ne s’agit pas non plus d’avoir tout le temps le nec plus ultra, ce n’est pas forcément l’objectif ! Le but est d’avoir le bon outil au bon moment, adapté au besoin de l’établissement, avec une maîtrise et une visibilité de ses coûts.

N’y a-t-il que des avantages ?
Vous répondre « oui » serait un mensonge ! Il faut choisir le bon produit financier en face du bon actif. Les chefs de service doivent travailler avec les organes de gestion de leur établissement pour choisir ensemble le bon outil financier. Si un établissement se trompe de produit, cela peut le mettre en difficulté. Ensuite, utiliser ces produits signifie mettre en place des organes de gestion et un pilotage des investissements dans l’établissement, ce qui est assez nouveau.

Peut-on imaginer demain des établissements de santé où tout serait loué ? Cela leur permettrait-il de retrouver un équilibre budgétaire ?
Pourquoi pas ! Mais attention, ce n’est pas le produit financier qui permet l’équilibre, c’est le pilotage. Mais cela leur permettrait de se mettre à piloter leur charge et d’accroître la visibilité sur l’avenir.

Nous avons encore l’impression qu’avec la location, le matériel ne nous appartient pas !
Nous vivons une évolution des pratiques. Pourquoi être propriétaire d’un IRM ou d’un scanner ? On parle beaucoup de l’ubérisation, du service à la demande. Aujourd’hui, de plus en plus, nous fonctionnons sur le mode de l’usage. Nous devons faire le deuil de la propriété pour rentrer dans un schéma où vous pouvez à l’instant T disposer du meilleur actif dont vous avez besoin ! Dans l’absolu, j’aurais tendance à dire que tout actif immobilisable à durée de vie de 2 à 8 ans, peut être pris en charge dans le cadre de la location.

Ces solutions peuvent-elles être une réponse au déficit des hôpitaux ?
L’utilisation de ce type de produit ne doit pas être vue par les établissements de santé comme étant une mesure conjoncturelle pour couvrir des déficits. Cela y contribue, certes, mais la démarche doit être liée à la mise en place d’une vraie politique de gestion.